Mike Rust. L’oublié, l’enterré.

Une poursuite plus tard. Un coup de gun après. Pis on ajoute à ça sept années de disparition. Ça finit par un mystère, un mythe, un bum, un Homme, une Histoire.

Mike Rust. Le père du sourire à ta chum, pis de ton sourire à toi, pis à lui là-bas, debout sur ses pédales. C’est le père de tes traces de pizza su’é coudes, de tes pieds mouillés, de ta corne d’intérieur de main. C’est le père de ta camaraderie, de ton ivrognerie et de tes mauvaises plaisanteries. C’est le père de ton Devinci, de ton Surly, de ton Kona, de ton Santa Cruz, de ton Chromag, de ton Giant pis de ton vieux Rockhopper barré sur ton balcon.

Autrement dit, c’est l’un des pères (et mères) du mountain bike; il fait partie de ces fameuses légendes du Mountain Bike Hall of Fame. Il est le père des géométries actuelles, du 29 pouces et des chainstay courts. Il est le père des plans d’abrutis, des pas-de-plans, des histoires qu’on se rappelle à chaque année autour du même feu. Imagine-le, notre père, dans le temps, avant qu’il invente tout, avant qu’il essaye tout, avant qu’il rende tout le monde jaloux de ses idées, de son naturel, de ses volontés et de son arrogance.

Imagine-le, Rust, celui qui crée et lègue aux plus jeunes; qui passe du rien à rien, pour finir du tout au tout.

Imagine-le grandir dans le paradis de Colorado Springs, où son avenir se dessinait vers le militaire de la chose. Pas le beau militantisme, mais le pas beau avec les guerres pis les profits d’armements. Ce dessein-là, il l’a griffonné et en a cassé le crayon. La mine d’idées dans le dedans de sa tête, il l’a agrandie entre le conservatisme et l’appel des montagnes. Tu comprendras qu’il a laissé l’un pour écouter l’autre, qu’il s’est mis un sac à l’épaule à l’abandon du mauvais, à la recherche du meilleur.

Imagine-le, le gars dont les étagères débordent de trophées collégiaux, représentant tous des vélos sur route, parce qu’à 5 pieds 7 pouces, il avait beau pousser l’aiguille de la balance à 140lbs, il poussait aussi sur les pédales. Mais un moment donné, un gars s’écœure du pavé pis des chemins donnés.

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Imagine-le en 80, partir sur une chire avec 14 autres folles et cinglés, s’enfuir de Colorando Springs pour se rendre jusqu’à Crested Butte.
Imagine-les partir, rouler les premiers miles des 650 kilomètres devant eux.
Imagine-les vers la fin, à Salida, fatigués, épuisés d’avoir roulé et grimpé comme des crinqués. Mais Rust voulait faire différent, mais Rust voulait grimper plus pour rouler moins, mais Rust voulait faire la passe. Infranchissable qu’ils disaient tous, mais Rust l’a fait, que oui.

Imagine-le s’installer à Crested Butte et faire son nom en quelques semaines. Mike Rust, celui qui fait les passes impassables, celui qui grimpe l’insurmontable. Mike Rust, celui qui va te gosser des cantileviers sur ta fourche de cruiser, celui qui va te souder des plaques pour te raker la fourche. Parce que oui, à l’époque, on ne parlait pas de suspension ni d’angle de fourche, mais on parlait de ton rake ou de tes straight blades: si ton axe était devancé de tes fourreaux de fourche, t’étais enduro mon enfant.
Imagine-le s’amouracher de la région, des défis et du sport qu’il créait tranquillement. Les gens accouraient avec leurs cruisers, les poches vides mais les têtes pleines. L’aventure, la communauté, l’innovation, la liberté, la nouveauté, l’ingéniosité… Le gros fun naissait, Rust était en train de créer un monstre et les crinqués se multipliaient.

Imagine-le se créer des machines, des gogosses, des adaptateurs d’adaptateurs. Parce qu’à l’époque, l’invention ne se butait ni à l’industrie ni au marketing. Les projets et les créations naissaient des rêves, et non l’inverse. L’imagination ne prenait pas seulement forme en visions et en passions, mais en vraie forme de vrai, en forme de réalité tangible, de création traficotée-botchée-coupée-grindée-soudée.

Imagine-le se créer des amis et des idoles, jusqu’à Gary Fisher qui commençait à s’y saucer les pieds.
Imagine-le encore embarquer du monde dans une histoire sans fin, dans une histoire de sacs strappés sur les toptubes, de montées de vieux chemins de mines et de pas de chemins pentoute, de bicycles sur les épaules, de sueurs détrempantes et casquettes cernées-salées.
Imagine-le les faire souffrir à parcourir 60 km de Crested Butte pour monter 1300m, camper au sommet et descendre jusqu’à Aspen pour se goinfrer dans le resto du premier hôtel de riches.
Imagine-les, eux, tout poussiéreux, senteux de boucane et tacheux de nappes.
Imagine-les tout excités, à vouloir le refaire l’année suivante. Tellement qu’aujourd’hui, on la parcoure encore cette traverse-là.

Imagine-le en 86 ouvrir sa propre boutique à Salida. Il y construira et dessinera l’entièreté du réseau de singletrack de l’époque: les premières dans le temps; les premières conçues pour le vélo; les premières pas recyclées d’ici et là. En mettant le vélo au premier plan, il changea la ville et sa dynamique.

Imagine-les, lui et son associé, fermer la boutique à clé quand le loyer était payé pour aller rouler ou travailler sur leurs projets.
Imagine-les recréer ces HighWheelers, ou plutôt Ordinary, ces clins d’œil historiques à la simplicité avec leur grande roue avant engagée directement par un pédalier.
Imagine-le, Mike Rust, le grand-petit, faire des courses sur route là-dessus, et même voyager l’Europe sur ces bécyks avec ses frères.

Imagine-les fabriquer leur premier vélo. Un Frankenbike aujourd’hui, mais qui était la révolution de l’époque: Le Shortie. Un empattement dépassant à peine 1000mm, soit 100mm de moins que tout ce qu’on pouvait trouver dans les sentiers. On les remarquait à leurs bases surélevées, question de rapprocher la roue arrière du boîtier de pédalier, mais aussi, ou plutôt surtout, en raison des gens qui les roulaient en dépassant les limites de la machine et du sport.
Imagine-les en 91, s’excitant du fameux pneu Panaracer Smoke: des crampons en forme de 29×1.9. Il fallait qu’ils le mettent en avant, pour aller plus vite, pour pousser plus fort. Ils s’énervaient encore plus sur la fourche RockShox RS-1 dont ils détenaient l’une des cent premières à avoir été produites. À coups de dessins, d’usinage, de soudage et de nuits blanches, l’Enduro-Shortie était né. Le tout premier 69″ se reposait sur une fourche de 48mm avec arc et fourreaux machinés et modifiés pour accepter une roue avant 29″: le monde leur appartenait.

Les expériences, les découvertes, il les jonglait, les partageait et les créait. Pour lui, ce n’était qu’une aventure passionnelle. Les plus gros de l’industrie les ont copiés, sans demander, sans parler, sans remercier. La création et la dévotion ont laissé place au dégoût et au je-m’en-foutisme.

Puis la première disparition.

Il a digéré l’amertume en s’échappant, en s’excluant, en s’exilant de tout, de l’industrie et des gens. Les poches à moitié pleines d’une boutique vendue, il les a troquées contre 80 acres de terres vides, perdues et sans valeur. La vallée de San Luis, près de Saguache, a toujours accueilli ces gens, ces désœuvrés de brousse, ces bums en broussaille. 10 000 kilomètres carrés, pour 6000 âmes errantes arrêtées, pour 8 policiers. L’endroit idéal pour s’oublier, où les gens s’y rassemblent individuellement pour se cacher, cloîtrer les squelettes dans le placard, récolter les corps morts, et parfois, enterrer les macchabées.

Sans eau courante ni électricité, il s’est construit un royaume de fortune. Une maison passive-agressive, un pied de nez à la société. Lui suffisait 5000$ par année pour vivre, pour pédaler Saguache, construire ses modèles réduits seul chez lui, recycler ses filtres à café au point où ils ne filtrent plus, se baigner de soleil dans sa maison raboutée-recyclée-orientée plein sud.

La deuxième disparation.

31 mars 2009

Rust revient de l’épicerie. Il arrive chez lui.
7h le soir, le crépuscule, c’est frette, frisquet diront d’autres.
Routine banale tu crois? C’est différent, quelqu’un est entré.
Pas un ami, ça a bougé ici y’a pas si longtemps, assez pour faire capoter.
Cherche, cherche, trouve rien. Branche le téléphone, appelle l’amie.

-Oui? -OUI! -Quoi? -Non! Quelqu’un! Vol. Bye!?! – Quoi? QUOI? Bye!?

Des pas de course dans la maison, un saut sur la moto dans le hangar, la poussière en volée, la poursuite est lancée.
L’épicerie reste sur la table.
Mais pas le revolver dans l’étagère, seul héritage de son frère.
Seuls éléments, seules pistes, seuls désespoirs.

1er avril 2009

L’amie et l’autre frère arrivent le lendemain. Rien.
Cherche, cherche, trouve rien. Branche le téléphone, appellent la police.
100 personnes marchent, les chevaux courent, les chiens sentent, les hélicos volent.

4 avril 2009

4 jours plus tard, à 5 kilomètres de chez lui, une veste, par terre!
Du sang! Du sang dessus, son sang. Plus loin, son sang, par terre!

Des gouttes, des flaques, un manche de gun.
Le manche de bois, cassé, taché, encore. Son sang, encore.
Le manche de bois, cassé, taché, hérité de son frère.

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25 avril 2009

L’enquêteur Mosier; ami de jeunesse, ami de plans de cons, ami de tours de passe-passe, de tours de passes; trouve sa moto, dans un fossé, lancée-garrochée, loin de çà et là.
Clutch couverte de sang, on s’en est débarrassée, à 30 kilomètres de l’endroit où les chiens en ont perdu la trace.

Et puis! Et puis…

Et puis rien.

Rust fera partie de la douzaine de corps disparus, cherchés et trouvés de Saguache. Le calme plat, l’anonymat, le deuil d’une famille pour un proche, d’une communauté pour une légende.

8 janvier 2016

7 ans plus tard, des restes humains retrouvés, puis une ceinture.
Une ceinture raboudinée-zigonnée en utilisant un pignon de vélo, comme Rust l’avait fait.

Rust, on t’avait presqu’oublié une troisième fois.

25 avril 2016

Les doutes sont effacés, le laboratoire a parlé, c’est lui.

On l’a laissé là, à 8 km de chez lui.

Là où il aurait pu voir sa tombe de son salon, tous les matins, café en main, café mal filtré de filtres trop réutilisés.

Oui, on a retrouvé son assassin en juin 2016. Oui, la famille se sent soulagée. Oui, le dossier est clos. Mais reste qu’on a atteint un monument que personne ne monumente. On l’a volé, jusqu’à la vie. Mais le vol est partie prenante de l’histoire de l’Homme, de l’Homme et de son vélo.

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