Sacré Jack!

D

Donnez-moi Jackrabbit et je vous peuplerai le Nord

qui disait le curé Labelle en parlant des Pays d’en Haut… ou enfin quelque chose du genre.

Et il avait bien raison, parce que moi, les genses de la trempe de Jackrabbit pourraient me convaincre d’aller piocher n’importe quelle terre de Caen. M’enfin, c’est pas pour me chicaner avec les Laurentides, c’est juste que là-bas la roche est une espèce qui pousse en rhizomes. Il faut essayer d’en déterrer une pour comprendre à quel point elle est tissée serrée avec la suivante. Alors, Jackrabbit, vous connaissez ? Parce que c’est pas juste un nom de sentier, de trophée ou de programme de ski de fond. Disons simplement que Herman-Smith Johannsen, de son vrai nom, est considéré comme l’un des pères du ski de fond en Amérique du Nord. Rien de moins. Pas de frimes, pas de fla fla, pas de soutane non plus. Un père, plutôt dans le sens de celui qui sait tailler les pierres d’assises. Un peu comme Monet nous a fait découvrir le brouillard ou alors les frères Hanson les films de série B, vous voyez le genre ?

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Quoiqu’il en soit, selon des sources sûres de genses qui aiment bien les dates, c’est en 1900 que Jackrabbit aurait quitté sa Norvège natale pour immigrer chez les Ricains. À l’époque, Jack était vendeur de machinerie industrielle un peu partout dans le nord-est de l’Amerloche. Mais la légende, elle, raconte qu’il prenait un malin plaisir à aller offrir ses services dans les communautés reculées, question de devoir y aller en ski. C’est d’ailleurs une communauté Cree du nord de l’Ontario qui lui aurait donné son surnom en le voyant arriver en bondissant sur ses skis. « Wapoos » lui auraient-ils dit, tout abasourdis qu’ils étaient. Wapoos, c’est le nom Cree pour lièvre. Jack le lièvre. Bon, c’est peut-être pas le surnom le plus romantique, mais vous en connaissez d’autres, vous, des choses poétiques qui bondissent dans le nord de l’Ontario ? L’histoire ne dit pas si la machinerie de Jack a fait fureur, mais pour le ski par contre… quand Jack, devenu Rabbit, est retourné visiter les communautés du nord, 20 ans plus tard, il a surpris des chasseurs autochtones à suivre les pistes des lièvres devinez comment ? en ski de fond ! Et ouais, et avec leurs raquettes sur le dos ! Tiens, voilà une belle morale.

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Partout où Jackrabbit est passé, le ski de fond a fleuri comme du pissenlit. À lake placid, là où il a vécu un temps, il a développé l’un des plus beaux réseaux de hors-piste. C’est pas les Laurentides, certes. Sauf que quand même ! Et puis là-bas le réseau est reconnu et protégé… m’enfin c’est une autre histoire. Et je ne serais pas surpris qu’on découvre un jour des pistes de ski de fond à Cuba (Jack a vécu dans les antilles quelques années avant que l’appel du nord ne devienne trop aïgu). Déjà à l’époque, dès qu’on parlait glisse, on se l’arrachait pour qu’il vienne donner son avis de grand manitou. Jack ceci, Jack cela, Jack le développement d’une pente de ski ou Jack la construction d’un saut. Un saut… mais pas comme le jump dans ta cour, un vrai saut à ski. Parce qu’il faisait ça aussi. C’est pour dire, il a même organisé des courses. Jackrabbit en spandex ? Pas trop non. Les courses qu’il organisait ressemblaient plutôt à des genres d’expédition de bushwalking à la boussole, mais sans boussole… un peu du style plusss c’est dense, plusss c’est l’fun. Même les courses plus traditionnelles qu’il a organisé recèlent leurs lots d’anecdotes. On raconte ainsi qu’une propriétaire ayant acceptée qu’une course traverse son terrain aurait oublié d’attacher ses molosses qui en auraient profité pour croquer quelques mollets. Les coureurs malheureux ont été se plaindre à Jackrabbit qui est, de ce pas, allé rendre visite à la mégère. De retour après une bonne secousse, Jack aurait déclaré qu’ils avaient pris un verre ensemble, qu’elle était navrée et que tout était rentré dans l’ordre. « Et pour mon mollet ? » lui aurait-on demandé. « Ah ça, j’ai jugé qu’il n’était pas nécessaire de lui en parler ».

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C’est en 1930, alors que la récession frappe, que Jackrabbit juge le moment opportun pour installer sa famille de manière permanente à Piedmont. L’aventure des Laurentides peut, dès lors, commencer véritablement. Inlassablement, Jackrabbit entreprend de sillonner le territoire et de construire des pistes. Dès 1933, il ouvre la célèbre Maple Leaf, puis la Western, puis la Fleur de Lys, puis la Johansson, puis un paquet d’autres dont on a parfois perdu la trace. Un de ses tracés favoris partait de Labelle et se rendait à Shawbridge avec en prime ascension du Mont-tremblant, descente à travers les arbres et nuit à la belle étoile. 100 kilomètres de hors-piste qu’il faisait fréquemment durant l’hiver.

À 80 ans, Jackrabbit faisait plus de 1500 kilomètres de ski de fond par année pour entretenir ses pistes ! Imaginez la figure légendaire du vieux viking, trimballant sa vieille traîne sauvage et sa scie, arpentant les profondeurs des Laurentides et vous saluant sans s’arrêter. Probablement suivi par son chien Ken. Ceux qui l’ont vécu en ont encore des frissons ! Ou bien, imaginez-le entrer dans une auberge pendant un blizzard pour venir prendre un coup et déclarer tout bonnement qu’il était parti de St-Agathe à 30 kilomètres de là un peu plus tôt dans la soirée.

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Mais, au fond, c’est quoi la légende de Jackrabbit ? C’est pas juste un scénario de superhéros pour Disney. C’est comme si son nom venait nous titiller un quelque chose d’enfoui profondément en nous. Comme si, sous les images de facebook collées sur notre rétine, se dessinait une vision de lacs, de neige et de grands espaces. L’humilité du vieux viking, c’est la même sagesse qui se lit dans les yeux du vieil indien, dans ceux de l’ancêtre qui se berce sur sa véranda. Leurs sarcasmes sur les autoroutes qui se construisent et leurs moqueries en regardant ce que sont devenus les centres de skis alpin, c’est la poésie de ceux qui savent. Ceux qui savent ce que sait qu’être un territoire. Parce que ce qui nous émeut chez Jackrabbit, c’est plutôt ça. Pas ses exploits sportifs, mais plutôt son osmose avec notre chez nous. La forêt boréale, celle des coureurs des bois et de notre imaginaire culturel romantique… au fond c’est lui. C’est pour ça qu’à chaque fois qu’on part explorer l’une des vieilles pistes du réseau de hors-piste des Laurentides, on se sent vivre. C’est pour ça qu’à chaque fois qu’un propriétaire empêche une des pistes patrimoniales de survivre, on s’indigne. Parce que chacune des pistes du réseau de ski que Jackrabbit nous a légué, c’est la clé des champs de notre nous géographique. Ce sont nos veines.

Jack c’est sacré

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