Les grandes migrations

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L’action de bouger ses cannes dans un exercice de flexion et de poussée, dit-on circulaire, pour ainsi donner vie à la monture en la propulsant.

En bref, pédaler vers où tu désires, quand tu veux, longtemps même. La recette est simple: avec ou sans destination, ça te prend yinke tes jambes, ton bécik, pis ta motivation.

C’est en ayant cette simple définition de bonheur en canne qu’on décide de partir explorer la franco-ontarie, de bord en bord de l’Outaouais River. On ajoute à cette base de soupe un soupçon de défi pis un itinéraire de quatre jours; on se retrouve avec trois filles, trois vélos, loadés pour l’aventure. L’absence d’expérience significative d’autonomie à vélo nous dresse un portrait assez bancal mais excitant de notre périple, pis c’est ça l’important!

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Notre trip là, notre gros fun noir, c’était de trouver l’endroit où on allait finalement poser nos têtes sur l’oreiller de fortune pis tendre l’oreille au silence censé régner là-bas, quand tu sors de la gran’ville. Toute la journée, t’enfiles les kilomètres comme des billes sur ta ficelle, pis quand ton collier est d’assez de longueur, quand tu commences à bâiller, y’est temps de délier tes gambettes pis de poser un brûleur su’ ta bonbonne. Engloutir, se réchauffer, s’endormir, wouala!

Pis là, tu gigotes un peu, question d’arrêter de frissonner le long de ton petit corps enveloppé de début mai, tout nu, pas de toit, pis tu réfléchizes… Pourquoi? C’est quoi le but? Le paysage? À date, on suit l’autoroute sous les ciels gris, les rivières sont grasses pis les arbres arides parce que l’hiver nous talonne à chaque brunante. Le campement chaleureux? Le talus de conifères au centre d’un parté de 4 roues aux abords de la 20, c’pas le rêve de tout scout averti. La découverte de villages pittoresques et invitants? La dégustation de « hamburgers with fries » à « Swainte-Ann-dé-Belleview », trempées à lavette sous les regards exaspérés d’étudiants bourgeois de John Abbott College? Ça réchauffe un peu, mais pas totalement…

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Au petit matin, les faces enflées pis les jambes jammées, on se sauve telles des voyoues en prenant soin de remettre en place la palissade rouillée, effaçant ainsi les seules traces de notre passage. « Merci M’sieur, le dodo était doux! » que je crie par-dessus le bruit des camions qui vrombissent sur l’autoroute. Le sable recommence à nous gicler sur les tibias, nos paumes renfoncent vers l’intérieur, nos dos se renouent; ah! douces sensations familières, nous revoilà sur nos bécanes!

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Les grandes migrations de début mai, on pensait que c’était nous autres; les filles d’la ville qui s’en vont se défaire les rotules dans’ campagne de l’ouest. Ouvrir la saison de bike en défrichant la route verte empoussiérée de garnotte, seul vestige de l’hiver. On se trouvait sautées, on était fières, on arrivait avant les feuilles.

C’était la première fois qu’on assistait à un mariage, entre Lefaivre pis Hawksbury, ‘ché pu trop. Des ombres surgissent dans le ciel finalement ensoleillé. On a beau traîner 20 mètres entre les convois, on s’arrête toutes, la bouche ouverte, le nez en l’air; v’là le cortège des mariés! Fébrilité d’une arrivée en de nouvelles contrées, petite saucette dans la rivière en passant. Le mariage est empreint de cris de joie, pis les plumages se font aller oui m’ssieu! Le mariage des Bernatchez est réussi. On peut reprendre la route après avoir enlevé des pelures, quittant la cérémonie à contrecœur. On se rend vite compte que la famille élargie des Bernatchez ne nous lâche pas d’une semelle, leurs cris dans nos oreilles pis leurs V aux quatre coins du ciel nous bercent de jour comme de nuit.  Quand ça se pose pas dans l’eau, ça va se dandiner dans les champs. Vol de semences au passage en se brassant les fesses d’étirements. Ça ben d’l’air qu’on est pas les seules à faire le yoga de fin de journée.

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À coup de crinque pis de flash, on se photographie à l’ancienne; sur le traversier tout juste dégelé, le coucher de soleil dans le trou des vaches. Pour se sentir encore plus comme des enfants qui jousent dehors, on traine des Kodak jetables, on immortalise notre jeunesse. Simplement parce que des fois, se sentir enfant, c’est ce qui ya de mieux.

Ce soir-là, on s’est établie dans un fossé entre deux champs de patates, sous un ciel bleu comme jamais. Le portage de nos bécanes dans la bouse de vaches séchée au soleil terminé, on s’remémore le sentiment chaleureux de la bouffe cuisinée dans le feu. Pis c’est là, oui, c’est là qu’on comprend le comment du pourquoi de notre escapade (pis de combien c’est réconfortant des nouilles en sauce).

Pour le fun, pour l’aventure, pour nous trois yinke, pour expérimenter, même si on mange de la bouffe de marde en canne, même s’il pleut, même si ça sent la ferme laitière… Pour l’avoir fait, pour pouvoir l’écrire, mais surtout, pour se surprendre à évaluer nos actions qui consistent à deux choses: aimer profondément le moment présent pis pédaler encore malgré…malgré tout, en fait. Parce que, dans l’fond, ça te fait revenir à l’essentiel: tu roules, tu manges, tu dors. Le soir, quand tu te couches, t’as l’impression d’avoir avancé, d’être allé plus loin sur la route pis dans toi. Pas de stress, l’Ode au présent! Celui qu’on lit dans les livres comme « Le Secret » (ou tous autres ouvrages psycho-pop du millénaire) mais qu’on n’est jamais capable de goûter dans un quotidien effréné. Sur nos bécanes, on pousse le temps, le temps d’aller explorer ce talus-là ou ben cette colline-là …

Mais l’aventure pousse encore.

Enwaille roule. Roule, ma poule.

Les deux roues dans Calumet, les ancêtres nous font de l’œil. Pourquoi pas dire bonjour ou bonne nuit? Why not coconut, un p’tit campement de tarp sur deux arbres pis une pierre tombale? Fait qu’on a dormi dans une allée de lampadaires pis de fleurs en plastiques en se disant que « Serge était ben bon au football » pis que « Monique devait être ben appréciée depuis des décennies». Un doux sommeil avec les morts empilés sous nos corps momifiés de duvet. On s’est levé avec la lumière, mais on l’a pas suivie jusqu’au paradis.

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C’était le vrai départ, le retour comme on dit. Pis on s’était réservé une double-date avec not’ bécik, dans les côtes ou dans le vent, c’est selon. Pis là, Saint-Placide qui arrive au loin dans toute son arrogance. Fuck you Saint-Placide avec ton slogan de fendant « Le vent dans les voiles » qu’on s’est dit toutes fières en haut de la côte Everest.

La journée est longue pis c’est pas Paul qui va la raccourcir. Paul, l’ail des bois, y connait ça! GPS dans l’cul pis Supercycle à moteur entre les cuisses, il cherche ben fort à nous convaincre qu’il est l’hôte idéal. Pas le choix, faut suivre. On part cueillir l’ail des bois avec Paul.

«Pis là, tu creuses avec ton doigt autour des racines… Je ne suis pas gynécologue, mais il faut y aller en douceur».

La fois où le bulbe de l’ail des bois, ça la même forme que tes cuisses, selon Monsieur.

Mais on avait de l’ail des bois, volé à la nature su’l bord d’une piste cyclable. Ça infusait din sacoches. Manquait juste à faire une escale dans la familia de Sainte-Marthe-sur-le-Lac pour vider une coupl’ de garde-mangers pis repartir de plus belle. On avait faim, pis soif; on avait des besoins. On puait l’Outaouais River périmée de quatre jours. On était croustillantes à quelques endroits. Ça sentait les œufs, pis c’était pas les scambled eggs que l’frère faisait à notre arrivée. Lui,  y’était fier, tsé! La sœur qui part à l’aventure avec ses comparses… bande de crazés.

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Le traversier, le boulevard Gouin d’Ouest en Est de Montréal, la fin vient nous rappeler qu’on était ben un peu plus loin. Que, ben oui, les camions nous ont suivi tout le long mais que l’énergie pis le sentiment de changement constant, ça fait du bien! Un retour bien mérité, la fatigue du corps, le soleil qui tape. C’était la fin.

Le ventre plein, les pieds propres, ben installée dans la maison, on réalise que le grand lit pis la douche, c’est pas mal overrated. L’inconfort de ma selle et les vibrations dans mon guidon, je vais m’en ennuyer.

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Collaboration : Les gitanes à vélo – Patricia, Jeanne et Rébecca

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