Printemps : la demi-saison qui vous chauffe la couenne

Vous n’en pouvez plus.

Printemps. De primus tempus, c’est le premier temps.
Demi. De dimedius, une division centrale, une moitié de.
Saison. De satio, c’est-à-dire de semailles.
Chauffe. De chauffer. De calefacere, terme composé de calere, la chaleur, et de facere, faire. Donc, faire de la chaleur.
Couenne. De cutis, la peau.

Le premier temps : semer la moitié fera chauffer la peau? Paul en a pris du bon, ou il est un peu cochon.

Ce n’est pas pour rien qu’on n’enseigne plus le latin : vous sautez les étapes, vous ne cultivez plus et vous avez la peau brûlée. Merci au capitalisme sauvage, aux banlieues éternelles et à la couche d’ozone perforée.

Ça peut bien être le début de tout, des saisons, du vrai soleil, de la fonte, ça reste que ce n’est jamais assez vite. Vous vous estimez chanceux de vivre au pays des quatre saisons, toutefois, vous redoutez les deux demi-saisons que sont les mois d’avril et de novembre. En avril, vous en avez marre des canevas de Riopelle qui jonchent le sol en forme de poussière de roches, de trous et de verre en éclat. Vous n’en pouvez plus de sentir les conséquences canines de maîtres impolis ; de voir les emballages d’incompétents mangeurs ; de ne pas savoir où donner du pied à chaque coin de rue, entre la plaque de glace, les dix autres paires de bottes et la flaque de slush.

Lorsque vous sortez de la ville, les sentiers sont fermés, on vous demande d’être gentil et raisonné, de patienter, d’attendre que tout soit dégelé et moins fragile. Puisque, à long terme, les sentiers seront fatigués, auront engraissés des côtés à coup de roues qui passeront à côté du trou, mais dont les traces deviendront le trou, et les prochaines roues passeront à côté du trou, mais les traces deviendront le trou…

Vous patientez.

Puis, c’est l’hécatombe. La tempête tombe du ciel comme un couteau dans la plaie. C’est trop, que vous vous dites. Les autres tempêtes étaient bénéfiques, mais celle-ci est de trop. Vous vous rappelez les mois où vous maugréiez, faute de tempête justement, et que vous vous satisfaisiez de quelques virages et prises de carres sur une neige transformée par l’âge, par les canons et par la pluie.

Vos bottes étaient rangées, vos souliers étaient lacés et, maintenant, vous ressortez la pelle pour sortir l’auto de la neige dont vous vous êtes lassé. Puis, vous vous faites à l’idée qu’il y a du positif dans tout, que le ski sera bon quelque part, tout de suite, pas dans deux jours. Vous vous souvenez des autres années, des tempêtes tardives qui tâtent la ville mais qui tombent généralement ailleurs. Ces systèmes qui vous permettent un vrai ski de printemps, de gros sel, même dans quelques sous-bois. La tempête qui vous fera économiser en P-tex.

Les journées s’allongent, l’espoir se rapproche. Le jour égale la nuit, vous vous retrouvez en égalité : le yin et le yang. Si vous êtes chanceux, la neige partira rapidement des versants sud, et vous pourrez enfin pédaler les quelques sentiers qui sont bien drainés. Puis, si les canons ont bien tiré et le soleil a bien chauffé, vous pourrez skier dans la même journée. Comme dans l’Ouest, vous dira votre ami, sauf qu’ici, il y a le temps des sucres dont vous vous contentez.

Vous dégustez.

La tire d’érable, les fins de semaine, Saint-Raymond, les barres Cliff trop sèches, Kingdom Trails, les rides de soirée, Prévost, la banane écrasée, Bromont, l’après-midi avec l’ami d’il y a trop longtemps, East Hereford, le trailmix tellement vieux qu’il en a rendu opaque votre Ziploc, Spénard, le feu de camp : tout casse sous vos dents, votre mémoire et vos crampons.

L’été a vite passé, il a bien chauffé, puis vous voilà déjà dans l’antre de l’autre entre-saison : la pire. La pluie qui vous glace les os, le soleil qui vous laisse planté là, tellement que les arbres en pleurent leurs feuilles.

Puis, l’envie vous prend. Il vous paraît soudainement tout à fait logique de tout laisser tomber, de tout laisser aller, d’abandonner en quelque sorte tout ce qui vous rend plus ou moins confortable, plus ou moins heureux. Finie la dégustation. Pourquoi n’auriez-vous pas droit au buffet vous aussi ? Vous abandonnez votre banquet cinq étoiles pour atteindre une gastronomie de niveau constellationnaire.

Vous partez.

Vous lui courez après, l’été et son reste qui vous laisse… sans restes. Vous essayez d’égayer les feuillus en leur rendant leurs feuilles, vous vous convainquez que c’est possible de ne pas déjà être rendu là, que c’est possible de jouer avec le temps et la température en trichant avec la latitude. Latte après latte, vous vous approfondissez l’esprit dans le bois.

Mais vous avez employé le verbe partir, et non s’enfuir. Vous courez après l’été pour sauter à l’hiver. Pas de pont, juste un saut, que vous vous êtes promis.

Vous flottez.

Rien d’incroyable, qu’ils diront, mais vous apothéosez. Rien en précipitation, mais tout en appréciation. Chaque centimètre vous semble parfait, chaque journée en vaut des saisons ailleurs. Vous vous isolez d’amis, de moments et d’exploits. La grande ville n’a plus rien de séducteur.

Ils avaient raison, rien de grandiose comme saison. Le printemps arrive et l’hiver n’a même pas terminé sa phase. Pas de demi-saison, ni de relais, ils placotent et prennent leur temps. Ils s’échangent d’élévation, ils se changent de manteaux neigeux, puis vous, vous faites le yoyo entre eux, parfois même dans la même journée.

Vous vous demandez jusqu’où vous pouvez laisser vos skis aller, jusqu’où vous pouvez laisser votre vélo monter. Le terrain de jeu change de jour en jour jusqu’à temps que l’été gagne sur vous, gagne sur vos prédictions, vous laisse monter jusqu’en haut, tout en haut.

Vous descendez.

Il avait raison, l’ami : comme dans l’Ouest, le lieu sans demi-saison, sans pause, toujours à play, toujours à jouer. Le sport vous colle à la couenne, les pleines saisons s’enchaînent, puis finalement, il y a peut-être une raison à toutes ces demies, à toutes ces moitiés distancées.