All Friends on a Powder Day

Ça ne vient pas de moi, tristement. Je serais beaucoup trop fier d’y avoir pensé, d’avoir imaginé et constaté les faits.

L’idée vient de Happy. C’est pas son vrai nom, c’est sûr, mais on le lui a imposé il y a longtemps. C’est ça qu’on m’a raconté, parce que les gens parlent de Happy. Il s’est fait coller ce nom-là à force d’être trop heureux, trop généreux, trop appréciatif. On connaît tous ce genre de gars-là, celui pour qui tout est trop beau pour être vrai, celui beaucoup trop intéressé à ce qu’on raconte, qui nous regarde trop dans les yeux, qui acquiesce trop de la tête, qui fait trop d’écoute active. Tellement qu’on pense toujours que c’est de la frime, que ça se peut pas. Non, le gars est vraiment comme ça, intrinsèquement bon. Le jovial, toi. Le Happy, partout, toujours.

On est un matin de poudreuse; hier, la montagne s’est couchée avec sa couverte de quarante-queque centimètres. Le genre de chiffre tellement gros qu’on ne veut même plus s’en rappeler, personne ne nous croira, ou bien ils seront jaloux: ils ne sont pas Happy. Mais lui, lui Happy, il était dans le line-up, plus tôt que moi. Moi, j’étais là à 7h00, mais lui, lui Happy, il était là depuis un bout. Il boit du café, pas moi: je porte un bib. Du café un matin de ski, ça demande trop de gestion. L’étape par étape, ça me fait chier. Je bois pas de café, mais lui…

Après quelques années à vivre dans une ville de ski, on finit par connaître tout le monde, de face, de surnom ou de relation. Certains depuis le premier jour, d’autres depuis le dernier matin, mais c’est assez tissé serré de mailles bien ouvertes. Ça fait que ça se tient solide, toujours au chaud pour d’autres potentiels. Les aiguilles tournent vite, avec le pas de café. L’heure passe vite avec le déjeuner effoiré dans la petite poche de coat, grignoté entre la première et la cinquième jasette. Tellement qu’on se fait pas trop de plans de matin, on se rend là et on skiera avec le premier venu. Celui qui se sera levé en même temps que nous, qui finira par se pousser de la même chaise au sommet, dans une heure et queque de ça. Celui ou celle qu’on connaît bien, mais qu’on ne connaît pas encore son nom, pis qu’il est rendu trop tard pour lui demander.

On parle de ça, et Happy finit son café, et il regarde la file, puis il sourit. Son nom à lui non plus, je ne m’en rappelle plus. Il me regarde et il lance ça comme ça. Dans le fond, l’adage de « No Friend on a Powder Day », c’est pas vrai. Regarde ça là, on est tous des amis, on se fait tous des amis. On sera des amis de gondole, de chaise, de file d’attente, de cris d’excitation et de virages en émoi. Tout ça, c’est du bonheur partagé, il n’y aura pas de vol de ligne ou de chicane des premiers sur les derniers. La journée est beaucoup trop belle pour s’en faire; la neige est trop légère pour s’alourdir de détails. Bon Powder Day, pis on peut-tu flotter en fraternité?

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