J’suis cassé – T’es cassé

Chus cassé. Pas comme j’ai pus une cenne, cassé comme mon squelette est cassé. J’marche pus, j’béquille. Cloc a fait ma cheville, juste comme ça. Une belle saison, commencée plus tard que prévu. Un retard bien récupéré, quatre jours de ski en ligne, deux grosses journées de touring en ligne, la forme est là, les idées de con aussi.

On n’a pas les mêmes horaires, mais on partage les mêmes amis. J’ai skié. Pas mal à part ça. J’suis plus nouveau que toi, mais je te rattrape un peu plus. T’es pus si loin, maintenant, les quelques fois qu’on skie ensemble. Reste que t’es encore vite, mon p’tit sacrament. En 20 jours, on en a juste partagés deux.

Une tempête, en ligne dès 6 h, première gondole, des belles descentes, d’la neige dans face. 10 h 30. Cloc ! C’est cassé, je l’sais, la saison est terminée.

J’voulais pas me lever pour 6 h. Je snobais ton idée matinale. J’suis arrivé à 7 h. On s’est même pas croisés, j’ai manqué notre troisième journée, notre dernière.

Je perds de vue mes amis. J’suis tout seul dans une botte de foin. Le cul dans la neige. Appel, pas de réseau. Fuck, j’fais quoi. Je fais siffler mon sifflet. J’attends. Y’attendent.

Sonic skiait avec toi. Il s’était levé pour 6 h, comme les deux autres. Rendu en bas, je le croise, il me demande if I saw you, j’lui dis que je don’t care. Il me dit qu’il est worried for real, moi j’angoisse d’un coup.

Un gars arrive. You’re OK ? Non, chus cassé. J’y donne le numéro de Pimp. Can you call him when you get cell reception? OK qui dit. J’attends.

Pimp en haut parle au cell avec un Américain. T’es cassé, il t’a vu. J’angoisse encore plus, pas le fémur, s’il te plaît.  Faut te trouver, dans toute l’ostie de sous-bois. Une épine dans une motte de neige.

D’autres skieurs passent, You’re OK ? Non, mais quelqu’un s’occupe de moi. Enjoy your day, que j’dis. Encore un autre, ex-patrouilleur. You should ski out if you can, not the best place to break an ankle. Merci. J’essaie, je skie sur un ski. Il me dame la poudreuse. Ça va pas ben, j’ai peur de tomber sur ma cheville cassée, câlisse.

On s’organise à six, par là, par là, par là. Trois te trouvent, trois refont la boucle.

Finalement, qui je vois pas apparaitre? Callum, Pimp et une patrouilleuse. Cette journée-là on pensait aller faire des laps dans le backcountry. J’avais mon beacon sur moi, à on. C’est comme ça que Pimp m’a trouvé dans la botte de foin. On s’assoit, la patrouilleuse dit que c’est mieux d’attendre le traineau, ce sera pas long.

J’entends vos voix juste en haut de moi. Descendre 30 mètres en ski, ça prend deux secondes, les monter, ça prend genre… une heure. J’arrive aux chaises, je coupe tout le monde. Le monde est fâché, je leur crie que mon ami est cassé. Le monde veut aider. Enfin j’arrive, t’es recouvert de bonhomme Michelin wrappés dans le papier foil. Pauvre patate. T’as une face d’enterrement, ta saison est enterrée par les prochains mètres qu’on va voir domper… Que tu vas voir domper.

Madame, je sens pus mon pied, j’ai un moignon dans ma botte. Hmmm not good qu’a dit. We have to take it off, the boot.

Il faut l’enlever… Pimp et moi on se regarde. On l’étire et on la tire.

Ça fait mal enlever une botte de ski avec une cheville cassée. J’ai crié pour me divertir l’esprit. Le traineau est jamais venu, on est allés le voir, moi sur un snowboard guidé par sept personnes. Comme Blanche-Neige et les sept nains.

J’y repense encore et ça fait mal. J’avais mal pour toi à t’entendre crier. On a tout lâché, et on a repris notre souffle. Tous pour toi, tous par peur, tous par pitié. Ça a pris deux prises. T’es le meilleur des patients, le meilleur des blessés, le meilleur des gelés dans le fond du bois, d’où on t’a sorti.

Des vis, une plaque, un plâtre, des pilules. Couché pendant deux semaines, pas de marche avant six semaines. J’m’emmerde. J’capote. L’hiver, c’est ma saison. Ça devait être la saison. Celle où je pouvais skier avec lui avant son retour au Québec. Le con.

On s’est tous dit la même chose. Pas lui… Pas toi. Le pire, la machine, le gars qui peut pas tenir en place, qui doit toujours faire quelque chose. C’est toi qui brise la skintrack, qui qui va le faire ? C’est toi qui organise les plans de con, qui qui va me motiver ? Mon dernier hiver ici en plus… Tu veux-tu que je reste ?

Des horaires différents. Des horaires complémentaires. Pis y skiait bien maintenant. On allait tourer. En touring, pas de règles, pas de sentiers, pas d’horaires autre que le soleil, même ça, ça peut être remplacé. Partir tôt, avant l’soleil. Chercher, trouver, pas trouver. Se perdre, sortir des contraintes, s’évader de la société. Créer. Laisser sa trace sur une neige impeccable. J’suis cassé, c’est juste une saison, ma trentième, la première que j’manque. C’est pas si pire, ça pourrait être pire. Mais ça fait chier en câlisse. Câlisse ça fait chier. Ostie j’capote. Non, non, non, avec le temps on l’accepte. On finit par marcher. On finit par faire d’la physio. On raconte son histoire des milllllllllliers de fois. Ah ouin, ça casse une cheville dans une botte de ski ? Ben oui ça casse câlisse. Tellement que tout le personnel médical concerné trouve donc bien qu’est grosse ta plaque pis que t’as ben des vissssssss. C’est pas trop rassurant. Une saison deviendra deux ? On y pense. On repousse ses objectifs. On n’est pas con. On pose des questions. Le vélo? Pas de descente. Le travail, entretien de sentier ? Mmmm, non. Le ski l’hiver prochain ? Ça dépend de ton confort. Ostie de réponse de politicien. J’avais un beau projet. 40 ans, 40 jours de ski en ligne. Pis l’autre con y s’en va.

Je m’excuse.

Mais, de toute façon, j’espère pus. J’patiente. J’apprends à. On trouve d’autres activités, un retour aux sources. Trop occupé à se faire aller les jambes pis les poumons. L’art, le dessin. On y retourne. Comme un muscle qui se rappelle pus comment. Ça marche pas. Ça fait mal à l’orgueil. C’est des petites victoires. L’inspiration revient. Le mental aussi. Alléluia, câlisse.