Les virages

Demain? Déjà? Nonon, bin oui j’veux. J’suis bin excité, c’est pas ça. Ouan ok ok. 6h?! T’es malade. Ça va le faire. 6h15 disons? Ok ok. À demain. Oui. Ouais pas mal. Oui. J’comprends. À Demain! Ouais. Ok! Bye! À demain là.

Toujours la même chose, d’année en année. Je me dis qu’un jour, je vais être grand, que je vais être organisé. Le plus triste, c’est qu’il y a pas mal de monde qui me trouve déjà grand. Je pourrais peut-être me résigner au fait que je serai un désorganisé toute ma vie. Ce gars-là, que les gens attendent parce qu’il gosse sur de quoi, ou parce qu’il n’est juste pas encore arrivé.

Toujours la même chose, même s’il neige depuis des jours, à tout sortir le soir  juste avant. J’suis là, la quasi-trentaine, à me chanter la chanson tête-épaules-genoux-orteilles, à essayer de pas rien oublier, à tenter de me souvenir de la liste des incontournables.

Toujours la même chose, à fouiller les coffres en cèdre, les fonds de garde-robes, les armoires de sous-sol pis les bacs Rubbermaid; à compléter les paires; à me remémorer la logique sporadique d’il y a six mois; à retrouver les pantalons, sales d’avoir frottés sur l’auto, sales d’avoir roulés sur les routes du printemps qui tirait sur le tard. C’est comme ça que je me rappelle que la logique sporadique en question, elle était plutôt occupée à ressortir le stock de vélo.

Toujours la même chose, à me souvenir d’acheter des batteries pour le DVA…après 23h00; à me chicaner moi-même de jamais rien apprendre de mes erreurs; à oublier pourquoi je me donne autant de misère. Au bout du compte, tout ça en vaut toujours la peine.

Le lendemain matin, qu’on s’assoit sur une chaise ou qu’on mette nos peaux, il y a toujours cette appréhension de ce qui s’en vient. Les gens autour sont toujours trop contents, moi j’ai toujours cette boule-là là, cette genre de nervosité mal cachée de « comment que ça va être »? De « je me souviens tu comment »? De « je serai tu le dernier, encore »? Celui qui échappe sa pole, ou celui qui, d’un croisement de skis, va faire la première culbute involontaire?

C’est peut-être parce que j’ai seulement quelques années sous les pieds, ou parce que je suis un éternel angoissé des détails sans importance. Ces premiers virages m’ont toujours stressé, et ils me stresseront toujours.

Vient la liberté, la légèreté. Les carres grattent un peu, puis ça part, un peu sur l’arrière, un peu trop machinal, un peu trop sur la réflexion et pas assez sur le feeling. Il faut les laisser aller toujours, sans chercher à comprendre. Elles marchent seules, elles n’ont qu’un seul langage…

Marjo de côté, il faut apprivoiser les premiers virages, en skiant d’amour et de liberté.

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