Raoul-Blanchard le clandestin

Man! Y a une autouroute de ski doo!

PRIVÉ pourtant ça disait à l’entrée.
P-R-I-V-É! Faque on a fait le tour de la guérite comme des voleurs, des iroquois de Long Sault. Dans le noir du matin, dans le bois tressé d’épinettes ben serrées, on a fait maille. Les skis s’en sont frotté la bédaine. Surf de branches en descendant la petite butte. Cassages de yeules en série. On veut rejoindre le chemin forestier, la ligne bleue de Google Map. 20 km d’approche en ski de fond hors-piste sur une route fermée, bon plan qu’on se dit. Topons-là. Coupe aux lèvres.

Sauf que le chemin est déneigé!

Du gravier, du grattage, du truckage, sel, poivre, slutch… Marde. On est pas tout seul icitte. Même un dimanche. Même un dimanche de janvier. Même un dimanche de janvier après une tempête. Mauvais timing pour la foresterie, les éoliennes ont le vent dans les pales. Tracer dans le bois comme des contrebandiers, c’est drôle. Mais sans leur sagesse, sans leur besace pleine de bières de fin de journée, on rigole moins.

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Et la piste de ski-doo?

On vient d’la spotter. Z’ont le droit, eux? Pourtant, on a connu du monde qui sont ben du monde se faire faire un spin de bord sur leurs raquettes d’Elvis Stojko. PRIVÉ. POLICE. Y en a d’autres aussi qu’on connaît pas : en vélo, en bottes de cuir, entêtés. Privé. Privé. Privé.

Ouin mais, vous comprenez, z’ont les droits d’accès, EUX. Pis la foresterie, l’essstricité, les pourvoiries, l’économie, le gros cash sale, pis toute, tsé… Anyway, vous êtes maîtres chez nousqui nous avaient dit vos vieux pis les montagnais avant eux, m’essemble… ou de quoi de même…

On chiale un peu ensemble, ensuite moi je continue tout seul dans ma tête pendant qu’on avance avec les ski-doo. Au loin, c’est Raoul ma poule qui montre sa crête.

Le Mont Raoul-Blanchard est le plus haut sommet du massif des Laurentides et le 8e du Québec. Il est situé sur les terres privées du Petit Séminaire de Québec et l’accès y est interdit. Sauf que…

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Zoom, zooom, zoom.

Pouah… On fait semblant de les saluer, ils font semblant de nous saluer, mais avec les mitaines on sait jamais… Puis ça s’enchaîne : chemins d’accès, traces de ski-doo, routes de bois, bushwhacking, jusqu’à la récompense dans son plus simple appareil. Le massif de Charlevoix au grand complet. On scrute, on savoure, on fait l’amour à chaque courbe d’horizon, chaque rondeur. La vue est imprenable. Imprenable, mais prise pareil par les nouveaux seigneurs patentés de la Compagnie des Indes. Les terres d’une congrégation religieuse qui délaisse depuis longtemps la Vulgate pour le vulgaire.

Va trépasser plus loin. No trespassing.

Clandestins, on dévale les pentes. Les longs serpentins de trails frétillent sous nos skis d’écailles. Miam. Miam. Pis entre les lacets on reluque les patches de neige… On se regarde, on se dit des t’es pas game, pis on lance nos skis de fond dans des virages aux succès aussi précaires qu’un but de Georges Laraque. Sans même réussir ne serait-ce qu’une petite fracturette d’un péroné, on reprend les trails à la poursuite de la brunante qui tombe.

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Gros spot light dans le dos.

L’autoroute de ski-doo est de mauvaise humeur, nous-autres avec. La romance s’épuise à chaque sniffe de fuel. Dire que c’est nous, les clandestins! Au moins, qu’on se dit, Bombardier c’tun ti-gars d’icitte. Même qu’au départ son invention a sauvé des vies. En passant la guérite (en plein devant ce coup-ci), on se fait enfumer par un ultime ski-doo…

Osti.
C’tun Polaris.

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